samedi 27 mars 2021

Atteintes aux Droits de l'Homme en République démocratique du Congo - simulation d'interview

                                                      Article original de Djamel  Rodrigues et Inès Von Haff

« Ça me rend triste de voir 
comment mon pays souffre et a souffert.»
(Divine Diallo, 2020)

Kelyan Lavigne : Bonjour Divine Diallo, vous habitez la ville de Kinshasa en RDC (République Démocratique du Congo), située dans une des zones les plus touchées par le non-respect des Droits de l’Homme. Dans cet entretien, vous en témoignez pour nous. Pour commencer, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?

Divine Diallo : Bonjour Kelyan, je suis âgée de 43 ans et j’habite à Kinshasa depuis de nombreuses années.  Je suis aussi moi-même journaliste, cela va bientôt faire 15 ans. C'était un métier que j'aimais beaucoup. Mais, désormais, je ne prends plus  aucun plaisir à l'exercer, car nous sommes confrontés à une situation contre laquelle nous ne pouvons plus lutter. Pour y voir plus clair, je dois revenir sur les événements-clés, et parmi eux, surtout sur les plus récents. À mon avis, les dernières élections qui ont amené M. Tshisekedi au pouvoir, et la crise au Kasaï, sont des causes incontournables des violences et du non-respect des droits.

Kelyan Lavigne : Quelles sont les origines des violences au Kasaï ?

Divine Diallo : Les violences au Kasaï ont déferlé après la mort en 2016 d’un chef coutumier, nommé Kamwina Nsapu, qui fut tué par les forces de l'ordre. Ses miliciens étaient en effet responsables de la mort d'au moins 79 civils, dont sept femmes et neuf enfants. A partir de là, les forces de l’ordre ont multiplié les exécutions extrajudiciaires et arbitraires dans le pays, elles ont connu une augmentation exceptionnelle en 2017. La crise au Kasaï, qui éclate suite aux tensions entre chefs traditionnels et gouvernement, en est la principale raison. Rapidement, ces tensions intercommunautaires ont alimenté un conflit plus large impliquant des milices, des groupes armés et des forces de sécurité dans toute la région.

Kelyan Lavigne : Quelles responsabilités le président Tshisekedi porte-t-il dans cette affaire, selon vous ?

Divine Diallo :  Mes sources et mes recherches m’ont menée à la conclusion que M.Tshisekedi et son administration, au lieu de chercher à apaiser les tensions, ont au contraire contribué à entretenir voire exacerber la situation, profitant de la pandémie de la COVID-19, en restreignant les droits humains en 2020. Afin d’étouffer les manifestants pacifiques, les journalistes et les membres de partis de l’opposition, les autorités congolaises ont utilisé les mesures de l’état d’urgence mises en place pour lutter contre la pandémie comme prétexte pour limiter toute forme de manifestation politique ou d’opposition. Maintenant, vous comprenez pourquoi, la liberté d’expression étant ainsi atteinte, je ne prends plus aucun plaisir à exercer le métier de journaliste.

Kelyan Lavigne : Je comprends parfaitement ce que vous ressentez, car nous faisons le même métier. Maintenant, Divine Diallo, pourriez-vous revenir plus en détail sur les violences au Kasaï ? Je sais notamment que votre fils aîné a été arrêté et exécuté en 2016.

Divine Diallo : C’est un sujet qui me touche infiniment, vous vous en doutez, et ce que mon fils a vécu, ils sont malheureusement des centaines à l’avoir vécu aussi. Oui, le sujet des violences au Kasaï de 2016-2017 est un sujet qui me touche beaucoup. Il n’avait que 25 ans. Il a été arrêté, avec d’autres, sans qu’on ne sache jamais pourquoi. Il n’avait que 25 ans. On l’a exécuté comme cela, de la manière la plus arbitraire qui soit. On parle d'au moins 1.176 personnes victimes d'exécutions commises par des agents de l’Etat en RDC et au moins 752 personnes exécutées, dont 30 femmes et 162 enfants, pour ne parler que du Kasaï. En plus de cela, on compte environ 1,4 million de personnes déplacées, qui avaient fui leurs habitations, leurs villages, pour échapper au massacre. Quelques mois plus tard, le chiffre du nombre total de déplacés n’était plus que de 760 000. 50% d’entre eux avaient pu revenir chez eux.

Kelyan Lavigne : Dispose-t-on de chiffres sur le nombre de violations des Droits de l’Homme en 2017 en RDC ?

Divine Diallo : Apparemment, en 2017, le Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l'Homme (le BCNUDH) a documenté 6.497 violations des droits de l’homme en RDC. Parmi elles, atteintes physiques, atteintes à la vie, à la sécurité, à la propriété, aux libertés fondamentales, travaux forcés..., soit, en moyenne, plus de 541 violations par mois.

Kelyan Lavigne : Les responsables de ces crimes ont-ils été arrêtés ?

Divine Diallo : Oui, heureusement, les autorités judiciaires ont sanctionné des agents des Forces de Défense et de Sécurité. Ainsi, au moins 150 militaires et 51 agents de la police nationale ont été condamnés pour des actes constituant des violations des Droits de l'Homme dans l'ensemble des 26 provinces de la RDC. Ce qui est bien, car cela montre au peuple que les autorités judiciaires font leur travail, qu’elles luttent contre l’impunité.

Kelyan Lavigne : Mais, dites-vous, Divine Diallo, quelle relation établissez-vous entre les élections et l’augmentation des violations des Droits de l’Homme ?

Divine Diallo : Les élections ont-elles à voir avec les violations des Droits de l’Homme ? Certainement, car, à cause d’elles, de nombreuses personnes ont fait l'objet d’intimidations, de menaces, de passages à tabac, d’arrestations et, dans certains cas, de poursuites judiciaires, uniquement parce qu’elles avaient critiqué les politiques du gouvernement. Human Rights Watch a documenté au moins 39 cas de menaces et de harcèlement liés à la liberté d’expression et à la liberté de la presse dans la moitié des 26 provinces du pays.

Kelyan Lavigne : Connaissez-vous personnellement des gens qui ont fait l’objet de ces abus de pouvoir ? Pouvez-vous nous parler de leurs cas ?

Divine Diallo : Oui, j’ai des amis qui ont été victimes de ces exactions. Les articles de certains, qui sont journalistes, ont été censurés et ont été supprimés d’internet. Je peux parler de leurs situations, mais je ne donnerai pas de noms. J’ai une amie qui recevait des messages d’intimidation sur WhatsApp,  envoyés par les cellules de communication et d’investigation du gouvernement, lui interdisant de participer à des émissions, lui interdisant de critiquer la gouvernance de la province. Je peux citer un cas beaucoup plus connu : celui d’un homme qui a été arrêté par deux jeeps de la police lourdement armés, alors qu’il avait simplement déclaré, pendant une interview à la télévision, qu’il pensait que M. Tshisekedi n’avait pas gagné les élections. Ils l’ont arrêté comme un braqueur de banque. Il a même été jugé sans être entendu par le parquet. Puis, le 9 juillet, un tribunal l’a condamné à 18 mois de prison. De fait, à 10 jours des élections présidentielles, historiques pour le pays, un incendie criminel avait détruit des hangars contenant des milliers de machines à voter, d'ordinateurs et des dizaines de véhicules de la commission électorale congolaise. 80 % des machines à voter auraient ainsi été détruites, tout cela à Kinshasa. Dans de telles conditions, comment considérer que M. Tshisekedi a été élu dans des conditions normales ?   

Kelyan Lavigne : Au terme de cet entretien, comment souhaitez-vous conclure, Divine Diallo ?

Divine Diallo : A mon avis, il faut absolument lutter pour nos droits. A quoi bon être journaliste, si notre parole est censurée ? si nous ne pouvons jouer notre rôle de juste contre-pouvoir ? Comment pouvoir se considérer comme citoyen, alors que tous les jours, un tel est arrêté arbitrairement et que tel autre est assassiné ? Depuis que mon fils est mort, il y a trois ans, rien n’a réellement changé. Les morts s’accumulent, mais le gouvernement les enterre sous le tapis. Nous ne rêvons que d’une chose : d’un monde où l’on pourrait se promener dans la rue sans la crainte qu’une Jeep ne vienne nous arrêter ; d’un monde où l’on pourrait se réveiller sans apprendre qu’un ami a été exécuté. Ça me rend triste de voir comment mon pays souffre et a souffert.

Kelyan Lavigne : Merci beaucoup, Divine Diallo, pour avoir accepté notre invitation. Le courage de votre témoignage nous touche au fond du cœur.


Sources :

Human Rights Watch
NOFI, média d'information lié à l'actualité afro-caribéenne
France culture

2 commentaires:

  1. De vrais journalistes pour un vrai sujet !

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  2. Sujet très intéressant et qui ne laisse personne indifférent je pense. Le fait de l'avoir traité avec un témoignage l'allège un petit peu...même si le sérieux du sujet est bien présent.

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