samedi 27 mars 2021

Mariage forcé et précoce au Niger

                                                          Article original de Eunice Pirès et Maëli Bareto 

« “Je suis triste depuis le jour où j'ai appris mon futur mariage. 
Je ne mange plus. [...] En classe, l'instituteur se moquait de moi,
il m’appelait ‘la jeune mariée’. Tout le monde riait. Dès que je
quittais la classe, les autres filles criaient ‘vive la mariée!’ [...]
J’avais dit à mon oncle : “Sois patient, je ne suis pas prête à
avoir des rapports sexuels avec un homme. S’il te plaît arrête
ce mariage.”», Mariama, 13 ans, victime d’un mariage précoce à Dosso, Niger.


Le Niger est un pays steppique d’Afrique de l’Ouest, sa population est de 22,44 millions d'habitants. C’est le pays ayant le plus haut taux de mariages précoces au monde. D'après l’UNICEF, plus de 77% des filles sont victimes de mariages précoces (souvent forcés). Dorénavant, certaines jeunes filles cherchent à se libérer de l’autorité abusive de leurs parents ; d’autres veulent simplement se marier avec leur petit ami, la plupart du temps, afin de cacher une grossesse hors-mariage. 75% des filles sont mariées avant leurs 18 ans et 28% d'entre elles avant leurs 16 ans. Le mariage est censé être, pour la majorité des personnes, une union conjugale composée d’amour et de paix et est une décision supposément prise à deux. Dans le cas du mariage précoce et forcé, c’est le contraire : du côté de la jeune mariée, il est souvent composé de haine, de peur et de tristesse. 

L'âge requis pour se marier est de 15 ans dans le Code Civil nigérien (“L'article 44 du Code civil interdit le mariage avant l'âge de 18 ans pour le garçon et 15 ans pour la fille. Toutefois, s'agissant des mineurs, ce code prévoit que le consentement des ascendants est nécessaire.”), mais certaines filles sont souvent mariées vers l'âge de 12 ans ou parfois même avant. Toutefois, une loi a été proposée afin que l’âge légal du mariage (pour les jeunes filles) soit de 18 ans ; cependant, cette loi n’a pas encore été votée. 

Les autorités sont compétentes pour empêcher, annuler ou faire reporter un mariage précoce sur la base de la mise en danger de l’enfant. Parfois la police intervient dans des mariages précoces, mais parfois les victimes n’ont aucune identité juridique et elles ne peuvent pas fournir de preuve de leur jeune âge, qui prouverait l’illégalité d’un mariage précoce. Ce type de procédure est fréquent. La police nigérienne dispose d’une division chargée de la protection des femmes et des enfants, plus connue sous le nom de brigade des mineurs

Si c’est la jeune fille qui porte plainte, la police convoque les parents des deux parties afin d’avoir plus d'informations sur la situation. Si l’audition révèle que les faits sont réels, ils contactent le procureur et envoient les parties auprès du juge des enfants, qui est le seul compétent pour prendre des mesures de protection. Malgré cela, la police intervient rarement, voire pas du tout. Comme beaucoup de ces familles n'ont aucun certificat de naissance, il est impossible pour la police d’intervenir.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles le mariage précoce et/ou forcé est encore pratiqué dans certains pays.

Au Niger, dans certaines régions, les pratiques traditionnelles et les religions ont un impact assez important sur le mariage précoce. Dans certaines pratiques traditionnelles, les parents marient leurs jeunes filles très tôt afin d’éviter qu’elles ne tombent enceintes hors-mariage car dans leurs traditions, tomber enceinte hors-mariage est une honte et peut être vu comme irrespectueux envers la famille. Dans la tradition des Touareg, par exemple, les filles n’ont pas le droit de savoir quand et avec qui elles se marieront, car si elles savaient qu’elles allaient se marier avec un homme trois fois plus âgé qu’elles (la plupart du temps), elles essaieraient de fuir. Alors, elles le découvrent seulement le jour même du mariage.

Certains parents essaient de les marier afin de se “débarrasser” d’elles, pour avoir une bouche en moins à nourrir. Au Niger, mais aussi dans d'autres pays d’Afrique (le Bénin notamment), le mariage précoce peut être une question d’honneur familial, c'est-à-dire qu’il accorde une grande importance à la réputation de soi-même, ainsi qu’à celle de sa famille. Par exemple, la réputation de l’homme est fondée sur sa capacité à protéger sa famille et ses biens pendant que celle de la femme est de faire preuve de modestie, de pudeur et d’éviter toute attitude qui puisse menacer la réputation familiale. On considère qu’elles ne doivent pas faire d’études ni travailler en dehors de la maison.  

À l’âge de 15 ans, elles sont souvent enfermées et/ou soumises dans le “rôle” de l’épouse et de la mère ou parfois même dans celui d'esclave sexuelle (dans les relations polygames). Elles sont privées de leur adolescence, de divertissement et d’éducation. Elles sont enfermées chez elles, toutes seules, sans compagnie (famille ou amies) et sans argent.

Les jeunes mariées sont souvent victimes de violences conjugales pour avoir refusé aux besoins (parfois sexuels) de leur mari et perdent leur pouvoir de décisions et de liberté. Elles souffrent souvent aussi d'abus sexuels (cet acte est normalement considéré comme viol, d’après la loi). Certains parents ne savent pas qu’elles sont soumises à des violences et d’autres savent ce qu'elles subissent mais l’ignorent et estiment avoir fait le bon choix, puisqu’elles sont prétendument en sécurité, alors qu’elles vivent un enfer.

Les grossesses précoces (de 15 à 19 ans) peuvent être un très gros danger pour la maman tout comme le bébé : 25% de décès maternels se rencontrent parmi les adolescentes. Les jeunes filles âgées de 10 à 14 ans sont plus susceptibles de mourir pendant la grossesse. Les causes de leurs décès sont généralement provoquées par le manque d’hôpitaux dans lesquels se rendre afin d’être suivies tout au long de leurs grossesses ou alors par manque d'argent pour pouvoir y accéder. Un accouchement obstrué conduit à la fistule obstétrique, qui est l’une des principales causes des taux élevés de mortalité et de morbidité maternelle. Certaines jeunes mamans peuvent avoir des maladies sexuelles transmissibles comme le VIH (sida) causé par le manque de renseignement sur le sujet, d'éducation sur les relations sexuelles. Elles ne peuvent pas négocier pour avoir des relations sexuelles protégées.

Les mariages précoces poussent à la déscolarisation de beaucoup de jeunes mariées. Certaines d’entre elles étaient déjà déscolarisées avant même d’être mariées, en raison, le plus souvent, de la pauvreté des parents. Cela a un impact non seulement sur la jeune fille mais aussi sur la société : moins éduquées, les femmes accèdent moins au marché du travail.

À Tessaoua, au Niger, Djamila Moussa, 30 ans, a appris qu’elle allait se marier un soir avec son propre cousin, elle n’était jamais partie à l’école car ses parents n’accordaient aucune importance à l’éducation : la seule chose qu’ils eussent en tête, c’était de la marier. Elle avait 12 ans et son mari 30 ans.  Voici ce qui se passa le jour de la rencontre, Djamila témoigne : « une fois arrivée chez mon mari, on m’a attachée au pied du lit, ils étaient cinq :  quatre amis et son grand frère. Dans un premier temps, on m'attache les mains et les pieds avec un fil de fer méchamment comme s’ils avaient affaire à un animal. Avant que mon mari arrive tard dans la nuit, on m’a tapée avec un fouet, j’ai encore les écorchures au niveau de mes pieds [...] moi je refusais, je criais et je pleurais. Comme je faisais des histoires, mon mari a préféré laisser passer quelques heures pensant qu’une fois de retour il allait pouvoir coucher avec moi. J’ai constatée qu’il ne revenait pas ; j’ai donc eu l’idée de prendre le couteau qui était à côté de moi :  ils m’avaient menacée avec ce couteau pour me dire que si je n’acceptais pas de coucher avec lui, ils allaient me tuer. J’ai réussi à casser le fil de fer et puis je me suis enfuie». Après avoir fugué de chez elle, de chez son mari, elle parcourt plusieurs kilomètres pour enfin arriver à Gourand ; elle y rencontre une femme qui l’aide à prendre le bus pour Niamey.

La plupart des jeunes mariées cherchent de l’aide comme elles peuvent : à l’école, ou même parfois auprès d’autres membres de leur famille afin d’essayer d’échapper au mariage organisé par les parents. Certaines adolescentes victimes de mariage forcé sont d’abord prises en charge par l’UNFPA (programme des nations unies pour la population) et orientées vers un espace sûr. Au Niger, en août 2013, l’UNFPA et ses partenaires mettent en oeuvre plusieurs programmes en faveur des filles, dont le projet “Illumin”. Ils créent dans les régions de Tahoua, Tillabéry, Zinder, Maradi et Niamey des espaces sécurisés. Il s’agit d’un programme de sensibilisation d’une durée de 8 mois ayant pour but d’essayer de retarder ou même annuler le mariage précoce, visant à éduquer et habiliter les jeunes filles ainsi que de sensibiliser les collectivités aux dangers du mariage d’enfants et aux grossesses précoces. La mère d’une des participantes déclare qu'elle a reporté le mariage de sa fille jusqu'à sa majorité : « l’année dernière on m’a demandé d’organiser le mariage de mon enfant mais j’ai refusé parce que ma fille est encore mineure […] pour éviter tout malentendu j’ai même préféré retourner la dot et d’autres frais liés au mariage ». Le chef du village de Koloma Baba, après deux ans d'expérimentations, affirme que cet espace a permis d'améliorer le point de vue de la populations sur le mariage précoce : « Les formations suivies par les parents les ont amené à changer de comportement, parce que le mariage des enfants constitue un risque pour l’enfant… »  Beaucoup de ces jeunes filles sont devenues de ferventes défenseuses de leurs droits.

Il existe plusieurs moyens de lutter contre le mariage précoce, cependant cette lutte est beaucoup plus difficile qu’elle n’y paraît. Pour ceux qui luttent et qui manifestent, il ne faut pas arrêter, il ne suffira pas de modifier le code civil, il faut aussi prévoir des sanctions, accompagner les filles à lutter pour obtenir leur certificat de naissance qui prouvent leur âge et engager les hommes dans cette lutte. On peut aussi essayer d’aider les jeunes victimes en partageant sur les médias certains témoignages, afin de sensibiliser les internautes et d’informer le plus de personnes possibles sur ce qui se passe au Niger, à ce sujet.


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